Les élections communales et municipales du 11 décembre 2024 se sont déroulées sans incident majeurmême si des irrégularités ont suscité des préoccupations sur la transparence, l’inclusivité et l’impartialité du processus électoral. SAFIDY, à travers sa mission d’observation, a couvert 2738 bureaux de vote dans 365 communes. Il est la plus grande mission d’observation déployée pour ces élections avec le soutien de l’Union européenne et de l’Organisation internationale de la Francophonie. SAFIDY propose des mesures correctives et des recommandations à court, moyen et long terme pour l’amélioration des prochains processus électoraux.

 
Taux de participation: En l’absence de données officielles consolidées, SAFIDY a analysé le taux de participation global sur la base des résultats provisoires de la CENI. Il ressort de cette analyse que la participation aux élections communales à l’échelle nationale demeure faible, bien qu’en légère hausse par rapport aux municipales de 2019. Avec un taux de participation estimé à 48,79 %, cette progression contraste avec les 41,03 % enregistrés lors du précédent scrutin municipal. Dans les bureaux de vote observés par SAFIDY, le taux de participation moyen est de 39,3 % au niveau national. Cependant, des
disparités régionales marquées sont observées : les régions du Sud et du Sud-Est (Androy, Anosy, Atsimo Atsinanana et Vatovavy) affichent des taux supérieurs à 45 %, tandis que la participation est particulièrement faible dans les régions d’Ihorombe et de DIANA, où elle reste inférieure à 30 %.

Sur le plan politique, le groupe de partis au pouvoir IRMAR a dominé les élections, remportant 968 mairies sur 1695, soutenu par des partis affiliés comme l’AVI (38 maires), l’ADN (36 maires) et FREEDOM (16 maires1). Ces résultats laissent entrevoir une position favorable pour le parti au pouvoir lors des prochaines élections sénatoriales. Par ailleurs, l’opposition reste fragilisée, principalement à cause de divisions internes au sein du mouvement Firaisankina (dont 40 maires pour le TIM, 14 pour le Firaisankina). L’ascension du parti FIVOI lors des élections législatives de Mai 2024 ayant réussi à faire élire 4 députés s’est confirmé pendant ces élections communales. Avec 52 maires élus, FIVOI se place parmi les forces politiques à respecter du pays. 

Concernant l’administration électorale, SAFIDY a relevé des pratiques opaques, notamment des nominations douteuses au sein de la CENI et de ses démembrements ainsi que des remplacements fréquents des chefs de Fokontany, perçus comme un moyen de favoriser les réseaux ou partis politiques pro-pouvoir. Par rapport aux listes électorales, la confusion et les contradictions dans les procédures de mise en œuvre de la révision exceptionnelle menée par voie d’ordonnance, ont fragilisé la confiance dans la transparence du processus et a accentué la méfiance des acteurs à l’égard du système électoral. Les candidatures ont été limitées en dépit d’une légère hausse de 6,90% par rapport à 2019. Les candidatures indépendantes restent nombreuses (45 % des listes). La difficulté des candidats à obtenir les documents administratifs nécessaires tels que le certificat délivré par l’Administration fiscale ou le certificat de nationalité a entravé la participation en particulier pour les candidats ruraux, loin des chefs-lieux des régions. Ce qui a d’ailleurs conduit la CENI à prolonger le délai de candidatures et à alléger certaines procédures. L’inversion des scores observés sur le site web de la CENI, impliquant une augmentation inexpliquée des voix pour un candidat révèle des failles dans la sécurisation et la gestion des données électorales. Cet incident, survenu dans un contexte de forte polarisation politique a amplifié la méfiance des citoyens envers l’intégrité du processus électoral.

Le manque d’accès aux informations techniques essentielles telles que les données désagrégées et facilement exploitables, le financement et le budget des élections auprès des institutions électorales demeure une problématique persistante. De plus, l’accès des observateurs aux formations nationales réalisées par la CENI et aux PV élaborés au niveau des SRMV reste limité. Cette opacité nuit à la crédibilité du processus électoral et entrave la capacité des observateurs à remplir pleinement leur mission. Par
ailleurs, la publication des résultats officiels et des données sur les contentieux électoraux accuse un
retard important au sein des juridictions compétentes, freinant leur analyse et accessibilité au public.

Concernant le jour du scrutin: L’ouverture des bureaux de vote s’est déroulée globalement dans le calme, bien que des incidents aient été signalés dans plus de 5 % des BV d’Alaotra Mangoro et d’Itasy. La majorité des bureaux ont ouvert à l’heure (6h), sauf dans certaines régions comme Boeny, où les retards ont concerné jusqu’à 30 % des BV. Les procédures ont été respectées, à l’exception du tirage au sort des signataires des bulletins uniques, non appliqué dans 10,6 % des cas. Le scrutin s’est déroulé sans incident majeur, avec un bon respect des procédures (99,6 %), mais des irrégularités ont été relevées, notamment l’absence de vérification systématique du pouce des électeurs (5 %) et la présence de forces de sécurité armées dans 20,6 % des BV. La fermeture et le dépouillement ont eu lieu dans un climat apaisé dans 98,7 % des cas, bien que des retards aient touché plus de 20 % des BV dans certaines régions. Le dépouillement a été public et transparent, mais la désignation des scrutateurs par les délégués des candidats n’a pas été respectée dans 22,2 % des BV.

Le traitement des résultats électoraux a été entaché par des irrégularités et un manque de transparence, en particulier dans l’acheminement des résultats et la gestion des documents essentiels en raison de l’absence de directives claires. Les présidents des bureaux de vote et chefs Fokontany ont dû improviser cette étape cruciale, accentuée par le manque d’implication des forces de sécurité, exposant ainsi les résultats à des risques de manipulation ou de pertes. Les défaillances au niveau des SRMV sont très préoccupantes. Des restrictions d’accès aux observateurs ont également limité leur capacité de vérifier la transparence du scrutin au niveau des SRMV, notamment l’accès limité aux salles de scan et la non remise des PV dans 48,7 % des SRMV. De plus, dans 30,8 % des SRMV, le tableau récapitulatif des voix par candidat n’a pas été fourni, limitant la capacité d’analyse et de vérification. Enfin, l’absence de lecture publique des résultats dans 35,9 % des SRMV compromet la transparence et alimente les doutes sur l’intégrité du scrutin. 

Du point de vue juridique, plusieurs préoccupations ont été soulevées, notamment l’interprétation abusive des exceptions au gel de la liste électorale, le report tardif des élections, la prorogation des mandats des maires sortants sans fondement légal. De plus, des réformes récentes semblent davantage influencées par des considérations politiques que par une volonté d’améliorer le processus électoral, telles que le retour au scrutin proportionnel et l’alignement des mandats municipaux sur le calendrier présidentiel. Malgré les recommandations formulées sur plusieurs aspects du cadre juridique depuis 2018, aucune réforme substantielle n’a été mise en œuvre. Ces failles compromettent l’égalité des chances entre candidats, encouragent les abus et affaiblissent la confiance dans le processus électoral.

La campagne électorale a été marquée par un faible engouement de la population, en grande partie en raison des préoccupations quotidiennes comme l’inflation et les pénuries. L’implication de fonctionnaires en faveur de certains candidats a compromis la neutralité de l’administration publique, tout comme les dons de vivres et de biens pour détourner l’attention des enjeux politiques, renforçant ainsi une perception transactionnelle du vote. De plus, l’impunité persistante face aux irrégularités et infractions électorales érode la confiance des citoyens dans le processus électoral. Il est crucial de renforcer les mécanismes de signalement en optimisant les outils existants comme les numéros verts de la CENI et les cellules de veille des organisations de la société civile. 

Les médias continuent de faire face à des défis persistants en matière d’impartialité, de désinformation et de régulation. D’une part, l’absence de volonté politique concernant la mise en place de l’ANRCM entrave la régulation effective du secteur. De l’autre, les liens entre certains médias et des acteurs politiques compromettent leur neutralité, et l’accès inégal aux médias publics restreint la diversité des opinions exprimées. En période électorale, la propagation de fausses informations nuit à la crédibilité des médias traditionnels, un phénomène exacerbé par l’absence de cadres juridiques clairs pour garantir leur indépendance. Malgré ces difficultés, les journalistes continuent de jouer un rôle crucial dans la sensibilisation du public, en particulier en milieu rural, bien qu’ils soient confrontés à des pressions politiques et à un climat d’insécurité grandissante.

L’analyse des Mésinformations, Désinformations et Malformations (MDM) ainsi que des discours haineux en ligne le jour du scrutin a révélé une circulation massive de contenus problématiques et d’incitations à la violence sur les groupes publics sur Facebook qui dans certains cas proviennent de comptes réels des utilisateurs. Bien que leur risque soit modéré, ces occurrences soulignent l’urgence de renforcer la vigilance des plateformes numériques et la sensibilisation des utilisateurs.

La représentation des femmes, bien que légèrement en progrès, reste faible. Sur 1 695 maires élus, seules 93 sont des femmes (5,48 %), principalement issues de la coalition IRMAR (53), des candidatures indépendantes (30) et d’autres partis (10). La répartition régionale est inégale, certaines régions comme Androy et Boeny n’ayant aucune femme maire.

Par ailleurs, l’évaluation de la représentation des jeunes et des personnes handicapées demeure limitéeven raison de l’absence de données spécifiques et d’un manque d’accessibilité. Ce manque d’informations empêche une analyse approfondie de leur représentativité au sein des instances locales, malgré les efforts entrepris pour intégrer ces données dans les procès-verbaux

Les campagnes d’éducation électorale ont été insuffisantes avec des portées géographiques touchant uniquement les zones urbaines. La stratégie de la CENI n’a pas été mise à jour depuis 2017, et les efforts de communication autour des révisions des listes électorales ont manqué d’impact. Bien que des initiatives ciblées aient été menées par la société civile, la participation des femmes, des jeunes et des personnes handicapées reste insuffisante. Le manque ou l’inaccessibilité aux données agrégées sur ces groupes limitent les capacités pour permettre un meilleur ciblage des actions d’éducation électorale.

Contentieux électoral :

Le contentieux électoral a été marqué par d’importantes difficultés d’accès aux résultats officiels et aux décisions rendues par les tribunaux administratifs, ce qui a entravé une analyse approfondie et alimenté un climat de manque de transparence. Néanmoins, la collaboration fructueuse entre l’ANJA et SAFIDY pour renforcer les capacités des acteurs en matière de recours a favorisé une implication accrue des juges électoraux et des agents de la CENI dans les provinces. Toutefois, les requêtes déposées par SAFIDY ont été rejetées en raison d’une insuffisance de preuves. Enfin, la persistance de défis majeurs, notamment l’absence de sanctions effectives, les lacunes juridiques concernant les délais de recours et l’intimidation des observateurs électoraux, fragilisent l’intégrité du système électoral.