Communiqué de presse
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Antananarivo, 7 février 2025

Les élections communales et municipales du 11 décembre 2024 se sont déroulées sans incident majeur même si des irrégularités ont suscité des préoccupations sur la transparence, l’inclusivité et l’impartialité du processus électoral. SAFIDY, à travers sa mission d’observation, a couvert 2738 bureaux de vote dans 365 communes. Il est la plus grande mission d’observation déployée pour ces élections avec le soutien de l’Union européenne et de l’Organisation internationale de la Francophonie.

Suite aux premières analyses publiées dans la déclaration préliminaire du 14 décembre 2024, SAFIDY présente, à travers ce communiqué, des compléments à ses constats généraux ainsi que ses recommandations techniques prioritaires pour améliorer les prochains processus électoraux. Le rapport détaillé sera mis en ligne sur le site web de SAFIDY dans un délai de 10 jours à compter de ce jour et intégrera une analyse complète des données relatives aux résultats officiels et aux contentieux électoraux, dès lors qu’elles nous parviendront.

Selon les résultats provisoires de la CENI, SAFIDY a observé que le taux de participation aux élections communales au niveau national demeure faible. Toutefois, avec un taux de 48,79 %, il marque une légère hausse par rapport aux 41,03 % enregistrés lors des élections municipales de 2019. Dans les BV observés par SAFIDY, ce taux de participation est de 39,3% au niveau national, avec des taux de participation plus élevés supérieurs à 45% dans les 4 régions du sud/sud-est Androy, Anosy, Atsimo Atsinanana et Vatovavy et des taux plus faibles inférieurs à 30% dans les régions d’Ihorombe et de DIANA. La remobilisation des acteurs politiques notamment les partis de l’opposition, les campagnes électorales souvent accompagnées de dons en nourritures, matériels et/ou en numéraires, ainsi que le mode de scrutin devenu plus simple utilisant une seule liste 1 semblent avoir convaincu plus d’électeurs à aller voter.

Sur le plan politique, le groupe de partis au pouvoir IRMAR a dominé les élections, remportant 968 mairies sur 1695, soutenu par des partis affiliés comme l’AVI (38 maires), l’ADN (36 maires) et FREEDOM (16 maires 2 ). Ces résultats laissent entrevoir une position favorable pour le parti au pouvoir lors des prochaines élections sénatoriales. Par ailleurs, l’opposition reste fragilisée, principalement à cause de divisions internes au sein du mouvement Firaisankina (dont 40 maires pour le TIM, 14 pour le Firaisankina). L’ascension du parti FIVOI lors des élections législatives de Mai 2024 ayant réussi à faire élire 4 députés s’est confirmé pendant ces élections communales. Avec 52 maires élus, FIVOI se place parmi les forces politiques à respecter du pays.

Concernant l’administration électorale, SAFIDY a relevé des pratiques opaques, notamment des nominations douteuses au sein de la CENI et de ses démembrements ainsi que des remplacements fréquents des chefs de Fokontany, perçus comme un moyen de favoriser les réseaux ou partis politiques pro-pouvoir. Par rapport aux listes électorales, la confusion et les contradictions dans les procédures de mise en œuvre de la révision exceptionnelle menée par voie d’ordonnance, ont fragilisé la confiance dans la transparence du processus et a accentué la méfiance des acteurs à l’égard du système électoral. Les candidatures ont été limitées en dépit d’une légère hausse de 6,90% par rapport à 2019. Les candidatures indépendantes restent nombreuses (45 % des listes). La difficulté des candidats à obtenir les documents administratifs nécessaires tels que le certificat
délivré par l’Administration fiscale ou le certificat de nationalité a entravé la participation en particulier pour les candidats ruraux, loin des chefs-lieux des régions. Ce qui a d’ailleurs conduit la CENI à prolonger le délai de candidatures et à alléger certaines procédures.

L’inversion des scores observés sur le site web de la CENI, impliquant une augmentation inexpliquée des voix pour un candidat révèle des failles dans la sécurisation et la gestion des données électorales. Cet incident, survenu dans un contexte de forte polarisation politique a amplifié la méfiance des citoyens envers l’intégrité du processus électoral.

Le manque d’accès aux informations techniques essentielles telles que les données désagrégées et facilement exploitables, le financement et le budget des élections auprès des institutions électorales demeure une problématique persistante. De plus, l’accès des observateurs aux formations nationales réalisées par la CENI et aux PV élaborés au niveau des SRMV reste limité. Cette opacité nuit à la crédibilité du processus électoral et entrave la capacité des observateurs à remplir pleinement leur mission. Par ailleurs, la publication des résultats officiels et des données sur les contentieux électoraux accuse un retard important au sein des juridictions compétentes, freinant leur analyse et accessibilité au public.

Le jour du scrutin, l’ouverture des bureaux de vote s’est déroulée dans un climat relativement calme et serein à l’exception dans les régions d’Alaotra Mangoro et d’Itasy avec des incidences observées dans plus de 5% des BV observés. Les BV ont en majorité ouvert à temps (à 6h) même si dans certaines régions comme Boeny, les BV en retard ont atteint jusqu’à 30%. La quasi-totalité des bureaux de vote ont également respecté les procédures d’ouverture sauf la procédure de tirage au sort des signataires des bulletins uniques, non-respectée dans 10,6% des bureaux de vote observés, et touchant plus de 20% des bureaux de vote pour certaines régions comme Betsiboka, Menabe et Vatovavy. Les matériels de vote clés et sensibles, tels que la liste électorale, les carnets des bulletins uniques, l’urne transparente et l’isoloir, ont été disponibles dans presque tous les bureaux de vote (BV) observés. L’ouverture des BV à été faite en public, en présence d’électeurs dans 87,7%, de délégués des candidats dans 97,9% des BV et d’autres observateurs que SAFIDY dans 55% des BV observés.

De même, le déroulement du scrutin s’est déroulé globalement sans incident ni violence même si des cas d’incidents ont été constatés dans 5,6% des BV de la région d’Alaotra Mangoro. Les procédures à suivre telles que l’existence des deux signatures au dos de tous les bulletins uniques utilisés, le respect de la position de l’isoloir, la vérification systématique des noms des électeurs dans la liste électorale, l’inspection systématique des pièces justificatives des électeurs (CNI ou passeport, carte d’électeur, ordre de mission, mandat) avant le vote, ainsi que l’apposition des signatures ou des empreintes digitales dans la liste électorale après les votes ont été respectées dans la quasi-totalité (99,6%) des bureaux de vote observés. Néanmoins, certaines procédures comme la vérification systématique du pouce de tous les votants à l’entrée du bureau de vote ou l’interdiction pour les forces de sécurité armées d’entrer dans les bureaux de vote restent des défis et touchent
respectivement 5% et 20,6 % des BV observés. Les bulletins uniques et les matériels de vote ont été constamment disponibles dans la totalité des bureaux de vote (BV) observés et le nombre entre 3 et 5 membres du bureau électoral a été respecté avec une participation des femmes et des jeunes satisfaisante supérieure à 45% des membres des BE.

La fermeture du scrutin et le dépouillement des résultats se sont également déroulés dans le calme et sans incident dans la grande majorité (98,7 %) des bureaux de vote observés. En effet, l’heure de clôture du scrutin (17 heures) a été respectée dans 83,4% des bureaux de vote observés même si des clôtures tardives touchant plus de 20% des BV ont été observées dans les régions Vatovavy Atsinanana , Analamanga, Fitovinany et Amoron’i Mania. Les procédures de dépouillement public, de comptage des voix le jour même du scrutin, de vérification de l’urne avant son ouverture, ainsi que la présence d’au moins trois membres du bureau de vote à l’ouverture de l’urne ont été respectées dans presque la totalité des bureaux de vote. Toutefois, la désignation des scrutateurs par les délégués des candidats n’a pas été respectée dans respectivement 22,2 % des bureaux de vote observés. Le dépouillement et le comptage des voix ont été publics et généralement assistés par plus 10 personnes, de délégués ou de représentants des candidats ainsi que des observateurs.

Le traitement des résultats électoraux a été entaché par des irrégularités et un manque de transparence, en particulier dans l’acheminement des résultats et la gestion des documents essentielsen raison de l’absence de directives claires. Les présidents des bureaux de vote et chefs Fokontany ont dû improviser cette étape cruciale, accentuée par le manque d’implication des forces de sécurité, exposant ainsi les résultats à des risques de manipulation ou de pertes. Les défaillances au niveau des SRMV sont très préoccupantes. Des restrictions d’accès aux observateurs ont également limité leur capacité de vérifier la transparence du scrutin au niveau des SRMV, notamment l’accès limité aux salles de scan et la non remise des PV dans 48,7 % des SRMV. De plus, dans 30,8 % des SRMV, le tableau récapitulatif des voix par candidat n’a pas été fourni, limitant la capacité d’analyse et de vérification. Enfin, l’absence de lecture publique des résultats dans 35,9 % des SRMV compromet la transparence et alimente les doutes sur l’intégrité du scrutin.

Du point de vue juridique, plusieurs préoccupations ont été soulevées, notamment l’interprétation abusive des exceptions au gel de la liste électorale, le report tardif des élections, la prorogation des mandats des maires sortants sans fondement légal. De plus, des réformes récentes semblent davantage influencées par des considérations politiques que par une volonté d’améliorer le processus électoral, telles que le retour au scrutin proportionnel et l’alignement des mandats municipaux sur le calendrier présidentiel. Malgré les recommandations formulées sur plusieurs aspects du cadre juridique depuis 2018, aucune réforme substantielle n’a été mise en œuvre. Ces failles compromettent l’égalité des chances entre candidats, encouragent les abus et affaiblissent la confiance dans le processus électoral.

La campagne électorale a été marquée par un faible engouement de la population, en grande partie en raison des préoccupations quotidiennes comme l’inflation et les pénuries. L’implication de fonctionnaires en faveur de certains candidats a compromis la neutralité de l’administration publique, tout comme les dons de vivres et de biens pour détourner l’attention des enjeux politiques, renforçant ainsi une perception transactionnelle du vote. De plus, l’impunité persistante face aux irrégularités et infractions électorales érode la confiance des citoyens dans le processus électoral. Il est crucial de renforcer les mécanismes de signalement en optimisant les outils existants comme les numéros verts de la CENI et les cellules de veille des organisations de la société civile.

Les médias continuent de faire face à des défis persistants en matière d’impartialité, de désinformation et de régulation. D’une part, l’absence de volonté politique concernant la mise en place de l’ANRCM entrave la régulation effective du secteur. De l’autre, les liens entre certains médias et des acteurs politiques compromettent leur neutralité, et l’accès inégal aux médias publics restreint la diversité des opinions exprimées. En période électorale, la propagation de fausses informations nuit à la crédibilité des médias traditionnels, un phénomène exacerbé par l’absence de cadres juridiques clairs pour garantir leur indépendance. Malgré ces difficultés, les journalistes continuent de jouer un rôle crucial dans la sensibilisation du public, en particulier en milieu rural, bien qu’ils soient confrontés à des pressions politiques et à un climat d’insécurité grandissante.

L’analyse des Mésinformations, Désinformations et Malformations (MDM) ainsi que des discours haineux en ligne le jour du scrutin a révélé une circulation massive de contenus problématiques et d’incitations à la violence sur les groupes publics sur Facebook qui dans certains cas proviennent de comptes réels des utilisateurs. Bien que leur risque soit modéré, ces occurrences soulignent l’urgence de renforcer la vigilance des plateformes numériques et la sensibilisation des utilisateurs.

La représentation des femmes, bien que légèrement en progrès, reste faible. Sur 1 695 maires élus, seules 93 sont des femmes (5,48 %), principalement issues de la coalition IRMAR (53), des candidatures indépendantes (30) et d’autres partis (10). La répartition régionale est inégale, certaines régions comme Androy et Boeny n’ayant aucune femme maire.

Par ailleurs, l’évaluation de la représentation des jeunes et des personnes handicapées demeure limitée en raison de l’absence de données spécifiques et d’un manque d’accessibilité. Ce manque d’informations empêche une analyse approfondie de leur représentativité au sein des instances locales, malgré les efforts entrepris pour intégrer ces données dans les procès-verbaux

Les campagnes d’éducation électorale ont été insuffisantes avec des portées géographiques touchant uniquement les zones urbaines. La stratégie de la CENI n’a pas été mise à jour depuis 2017, et les efforts de communication autour des révisions des listes électorales ont manqué d’impact. Bien que des initiatives ciblées aient été menées par la société civile, la participation des femmes, des jeunes et des personnes handicapées reste insuffisante. Le manque ou l’inaccessibilité aux données agrégées sur ces groupes limitent les capacités pour permettre un meilleur ciblage des actions d’éducation électorale.

Face aux constats effectués lors de cette élection, SAFIDY formule plusieurs recommandations prioritaires pour améliorer le processus électoral, renforcer la transparence et garantir une participation plus inclusive lors des futurs scrutins.

● Renforcer la transparence et la conformité du traitement des résultats électoraux : Appliquer rigoureusement les dispositions légales (rédaction des PV de carence, lecture publique des résultats), renforcer les droits des observateurs, et améliorer la formation du personnel de la CENI.
● Réformer le cadre juridique et l’administration des élections : Renforcer la réglementation du financement des campagnes électorales; Imposer des sanctions en cas de non-respect des règles; Organiser systématiquement les élections selon le calendrier des mandats et garantir la périodicité; Clarifier les conditions pour la réouverture des listes électorales.
● Assurer la transparence et la responsabilité au sein de la CENI : Garantir la transparence des nominations et des révocations au sein des démembrements de la CENI et des chefs de Fokontany; Publier systématiquement les délibérations et les budgets détaillés; Améliorer l’accès à l’information pour les acteurs de terrain.
● Renforcer la transparence et la sécurisation du processus électoral : Renforcer la transparence et la sécurité du site web de la CENI et la formation de son personnel; Organiser des concertations régulières pour une meilleure implication des acteurs dans le processus électoral..
● Améliorer l’inclusion électorale : Réaliser des études quantitatives et qualitatives pour mieux cibler les publics spécifiques (jeunes, femmes, personnes handicapées) et mettre à jour la stratégie d’éducation électorale. Assurer une meilleure accessibilité électorale, notamment pour les personnes handicapées, avec des aménagements dans les bureaux de vote; Améliorer systématiquement la collecte de données désagrégées
sur leur participation.

● Renforcer la régulation des médias et la sécurité des journalistes : Mettre en place l’ANRCM pour garantir une couverture médiatique équilibrée; Former les journalistes à la sécurité numérique, à la gestion de crise, à la vérification des faits et à l’éthique pour améliorer la fiabilité de l’information; Assurer l’ouverture des médias publics dans l’intérêt général et non partisan.
● Lutter efficacement contre les discours haineux : Clarifier juridiquement la notion de discours haineux tout en préservant la liberté d’expression; lancer des campagnes de sensibilisation sur les lois encadrant les interactions en ligne, y compris les sanctions associées.
● Améliorer la gestion des signalements électoraux : Améliorer le suivi des signalements à travers un mécanisme indépendant en capitalisant les outils existants tels que i-report et la cellule de veille des organisations de la société civile.

L’observatoire SAFIDY est soutenu par l’Union européenne et l’Organisation Internationale de la Francophonie. Le contenu des communiqués relève de la seule responsabilité de SAFIDY et de ses Organisations membres de la société civile suivantes: AIM, PFNOSCM-Vohifiraisana, DRV, YMCA, FTMF, CEDII, MSIS TATAO, ONG Ravintsara, ONG Ivorary et Alliance Voahary Gasy et ne peut aucunement être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne et de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Dans le cadre de sa collaboration avec le projet MANEHOA, SAFIDY intègre dans son rapport les analyses menées par l’ONG Ilontsera et CID sur le monitoring des médias traditionnels et des réseaux sociaux.

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